Les pérégrinations d’une fontaine du XVIème siècle

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A Tours, toutes les âmes frivoles connaissent cet endroit : le « jardin des amoureux » pour son nom courant, le « jardin de l’hôtel de Beaune-Semblançay » pour les plus connaisseur d’entre-nous. Petit havre de paix derrière le tumulte de la rue Nationale, il a accueilli sur ses bancs des générations de tourangelles et de tourangeaux entichés et amoureux. Son décor rappelle la peinture romantique : des ruines, de la végétation ainsi qu’un peu de tragédie.

Mais aujourd’hui, un élément incongru vient gâcher le charme du lieu. A côté des bancs se trouvent en effet une immense pancarte. S’apprêtant à crier à la pollution visuelle, l’amant hagard lit le message du panneau : ce dernier indique une levée de fond pour la restauration de la fontaine de Beaune-Semblançay, joyaux de la Renaissance tourangelle. Derrière la pancarte on découvre une éminence en pierre usée, noircie par le temps et la pollution, dont le haut semble particulièrement désagrégé.

Bien qu’il faille de l’imagination pour se le figurer, non, le panneau ne ment pas. Avant d’être une ruine de pierre cette fontaine fut un chef-d’œuvre de la Renaissance et de l’art tourangeau. Perdue et martyrisée, la fontaine, vieille du XVIème siècle, a vécu une histoire mouvementée avant de finir ici, à moitié découpée dans un jardin romantique.

Laissez-moi donc vous raconter l’histoire de la fontaine de Beaune-Semblançay :

Celle-ci commence en 1505, où par la suite d’une volonté du roi Louis XII, il fut décidé de construire un réseau (innovant pour l’époque !) de fontaines publiques dans la ville. La direction de l’opération fut confiée à un normand : Pierre Valence, qui ordonna la création de quatre fontaines qui seront placées dans la ville. Notre fontaine en est le dernier modèle existant.

Commencée en 1506, la fontaine de Beaune-Semblançay prend le nom de Jacques de Beaune, seigneur de Semblançay et directeur général des finances royales. Il fut celui qui la finança et qui prêta les jardins de son hôtel particulier pour l’érection de la fontaine.

Terminée en 1511, la fontaine est l’œuvre des frères Bastien et François Martin issu des ateliers du célèbre sculpteur tourangeau Michel Colombe. D’une hauteur de quatre mètres, elle se compose de plusieurs étages montés en pyramide. Les motifs furent sculptés et peint par Jean de Leschallier et témoignent d’une forte influence italienne, chose peu commune jusqu’alors.

Le module supérieur se compose de quatre porcs-épics, emblème du roi Louis XII, calés entre les lettres A et L, qui sont les initiales du roi et de son épouse Anne de Bretagne. Leurs armoiries se retrouvent aussi plus bas.

L’étage inférieur se compose quant à lui des blasons de la ville de Tours (dont les fleurs de lys furent rayées à la Révolution) et de la famille de Beaune. Le haut de la colonne était couronné d’un crucifix, probablement perdu lors de la Révolution aussi.

Au départ présente à la croisée de la Grand-Rue (actuelle rue du Commerce) et de la rue Traversaine (ancêtre de la rue Nationale), la fontaine fut déplacée puis remontée au sein de l’hôtel de l’Intendance (situé rue des Halles et disparu en 1940) en 1778 pendant le percement de la rue Royale. C’est en 1820 qu’elle est à nouveau déplacée pour trôner sur la place du Grand-Marché à l’emplacement de celui que nous appelons aujourd’hui « le Monstre ».

En 1958, alors que la reconstruction est en cours, la création d’un jardin autour des ruines de l’hôtel de Jacques de Beaune entraina le retour de la fontaine à son emplacement d’origine. A l’endroit où celle-ci fut érigée par ses créateurs en 1506.  Saine et sauve des bombes allemandes, la fontaine ne résistera pas à la bêtise humaine. Dans une nuit de juillet 2012 des vandales arrachèrent le haut de la colonne, amputant la fontaine d’un mètre. Estropiée et abandonnée, la fontaine de Beaune-Semblançay se languit désormais de sa splendeur d’antan.

Au regard de sa riche histoire et témoignant du début de l’influence italienne sur l’art français, il faut espérer que la levée de fond puisse apporter une nouvelle vie à ce chef-d’œuvre du XVIème siècle. Imaginez simplement alors à quel point la fontaine pourrait embellir le charme du jardin des amoureux et combien de couples pourraient alors se former dans le reflet de ses eaux limpides.

H.M.